Clarifier l’identité du poivre sauvage de Madagascar
La botaniste malgache Harizoly Razafimandimby vient de passer deux semaines dans notre herbier afin de déterminer – avec notre conservateur Laurent Gautier – à quelle espèce appartient le poivre sauvage de Madagascar, appelé localement «tsiperifery» et pouvoir ainsi assurer sa conservation.

Le «tsiperifery», épice à la mode depuis le début des années 2000, est aujourd’hui menacé en raison d’une forte augmentation de sa collecte. Poussant à l’est de l’île, cette grande liane peut monter jusqu’à 20 mètres sur un arbre tuteur: les individus femelles sont coupés dans leur intégralité (souvent avec leur tuteur) afin de récupérer les précieuses baies qui se développent au sommet de la canopée.
Ainsi, en raison d’une forte augmentation de la demande, il ne reste dans certaines forêts presque plus de pieds femelles.
Spécialiste de ce poivre sauvage endémique de Madagascar, Harizoly Razafimandimby, chercheuse au Centre national de recherche appliquée au développement rural (Cendraderu-Fofifa) développe – en collaboration avec une équipe franco-malgache et les populations locales – un programme de conservation du «tsiperifery».
En parallèle, elle travaille sur l’amélioration des connaissance scientifiques de cette espèce afin de mieux la protéger. En effet, le «tsiperifery» est encore très souvent confondu avec le poivre de la Réunion, le Piper borbonense, alors que les recherches menées par Harizoly Razafimandimby ont montré qu’il s’agit bien de deux espèces différentes. Reste à savoir si le «tsiperifery» a déjà été décrit comme espèce – sous un autre nom – ou s’il s’agit d’une nouvelle espèce. C’est là que notre herbier entre en jeu.
«Cette détermination est essentielle à la protection de ce poivre sauvage. Sans nom d’espèce, son statut de conservation ne peut être évalué, et il ne peut pas être inscrit sur les listes rouges de l’Union internationale pour la conservation de la nature ou dans les annexes de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction» explique notre Conservateur Laurent Gautier.
«Sans nom scientifique, le « tsiperifery » continue également d’être exporté sous le même régime que son cousin le poivre noir alors qu’il s’agit bien d’une espèce différente, cueillie dans la nature, et qui doit donc être régulée différemment par les autorités malgaches» ajoute Harizoly Razafimandimby.

Harizoly Razafimandimby

Laurent Gautier

Les deux chercheurs
Une réponse à chercher sur des échantillons collectés il y a plus de 200 ans
La réponse à la question de savoir si le « tsiperifery » est une nouvelle espèce ou s’il a déjà été décrit réside dans notre herbier, d’où la présence d’Harizoly Razafimandimby à Genève. Durant une semaine, elle s’est méticuleusement penchée, avec Laurent Gautier, sur des échantillons collectés sur l’île depuis plus de 200 ans.
« Nous avons dans notre herbier des échantillons du genre Piper qui ont été récoltés sur l’île depuis la fin du XVIIIème siècle et qui nous sont parvenus par les collections Delessert et de Candolle » explique Laurent Gautier. « Très incomplets (quelques feuilles détachées, une infrutescence), ils sont néanmoins au coeur de cette question de nomenclature, car ils ont servi à Friederich Anton Miquel et Casimir de Candolle à décrire plusieurs espèces de Piper. »
« Nous avons comparé ces différents échantillons afin de voir leurs similitudes avec les particularités morphologiques que j’ai identifiés comme étant propres au « tsiperifery » : c’est un travail minutieux dont les avancées sont souvent remises en question par de nouvelles découvertes. Mais il est essentiel et l’herbier de Genève joue un rôle clé dans ce processus» souligne Harizoly Razafimandimby.
Une quête scientifique et des questions encore ouvertes
Pendant ces quinze jours, les deux scientifiques ont également examiné la centaine d’échantillons de Piper de Madagascar de nos herbiers. Ces échantillons proviennent de trois instituts très actifs dans l’étude de la flore de la Grande Ile : le Missouri Botanical Garden, le Museum de Paris et les CJB, ainsi que des récoltes personnelles de Mme Razafimandimby. S’y sont ajoutés deux échantillons de l’herbier de Florence qui ont récemment servi à la description de deux espèces nouvelles.
A ce stade, la question n’est pas encore résolue car le genre est connu pour avoir des espèces très variables qui rendent sa taxonomie complexe. Les caractères discriminants ont été identifiés, puis mesurés sur tous ces échantillons. Une analyse statistique sera conduite, au besoin complétée par une étude moléculaire et on espère savoir d’ici une année si le « tsiferipery » recouvre une grande espèce variable ou plusieurs espèces distinctes. On saura alors comment appliquer les noms existants, ce qui permettra une meilleure efficacité des initiatives de conservation.