Expédition au milieu du Pacifique
Une variété de palmier endémique de l’attol de Palmyra, dans l’Océan Pacifique, pourrait contribuer à expliquer l’origine incertaine des cocotiers.

Il aura fallu presque 24 heures de voyage et un décalage horaire de près de 11 heures pour que notre conservateur, Fred Stauffer, atteigne le minuscule attol de Palmyra (moins de 4 km2), situé à environ 1700 km des côtes d’Hawaï dans l’Océan Pacifique et rejoigne l’équipe de scientifiques menée par Patrick Griffith, directeur du Montgomery Botanical Centre (MBC) de Miami, ainsi que Riccardo Baldini, conservateur de l’herbier tropical de Florence. Le but de ce long périple ? Redécouvrir une variété de palmier pratiquement oubliée, dont leurs populations sont endémiques du petit atoll. Aux fruits exceptionnellement grands et lourds, Cocos nucifera var. palmyrensis, présente des caractéristiques morphologiques probablement ancestrales qui pourraient contribuer à apporter des réponses quant à l’origine du cocotier commun, restée jusqu’à ce jour encore controversée.
Une réserve naturelle idyllique
L’attol de Palmyra, constitué d’une île principale, l’ile Cooper, et des plusieurs îlots avoisinants, est classé comme réserve intégrale de faune et de flore nationale. Cela signifie qu’il ne peut être prospecté que pour des raisons de recherches scientifiques précises et justifiées, en appliquant des règles phytosanitaires extrêmement strictes afin d’empêcher l’importation d’espèces végétales ou animales envahissantes, comme cela est souvent le cas dans les territoires insulaires.
« Nous avons même dû nous munir de vêtements neufs et protégés dans des sacs plastiques spécifiquement pour ce terrain, pour éviter tout type de contamination ou d’importation d’autres espèces » raconte Fred Stauffer.
Une vingtaine de scientifiques habitent en permanence sur l’attol et y mènent principalement des études sur l’écologie des oiseaux et de la faune marine, en naviguant d’île en île à bord de petits bateaux.
Ensemble contre la cécité botanique
Les recherches spécifiquement dédiées à la botanique sur l’attol restent toutefois modestes. Dans le cas de Cocos nucifera var. palmyrensis la dernière étude remonte à 1916 et fut réalisée par Odoardo Beccari, un botaniste florentin reconnu à son époque comme la plus grande autorité de la famille des palmiers, qui décrivit cette variété de palmier en se basant uniquement sur le fruit. Ce dernier est le seul encore conservé à ce jour dans l’herbier du Museum d’Histoire Naturelle de Florence.
Plus de 100 ans plus tard, cette nouvelle visite permet donc la vérification de la présence et l’évaluation de la distribution de la variété palmyrensis sur l’attol, une description complète de l’espèce dans sa globalité, ainsi qu’un premier inventaire botanique plus complet des îles pour mieux comprendre leur écologie.
Marquée par une collaboration internationale exceptionnelle italo-americano-suisse, les six scientifiques participant à cette mission inhabituelle ont rallié leurs expertises complémentaires dans le domaine de la palmologie et de l’écologie insulaire de cette région du Pacifique et ont travaillé intensivement durant quatre jours.
« Nous tissons une amitié de longue date avec Patrick [Griffith]. Quand il m’a contacté pour me demander d’apporter mon expertise dans la récolte et l’étude des palmiers, je ne pouvais pas refuser. C’est très rare, voire presque unique, pour un botaniste de vivre ce type d’expédition dans de pareils conditions », confie Fred Stauffer.
Un arbre impressionnant à connaitre et à protéger
Mais à quoi ressemble Cocos nucifera var. palmyrensis et pourquoi doit-on le protéger ? Ce cocotier est endémique de l’attol de Palmyra, on ne le retrouve donc à nulle part ailleurs dans le monde. Il peut mesurer jusqu’à 15 mètres de haut et porte des noix de coco pouvant atteindre jusqu’à 35 cm d’envergure avec une cavité centrale relativement petite, et un poids hors-norme de presque 4 kg, une forme de gigantisme insulaire ! Les fruits présentent également un grand pouvoir de flottaison, avec une première feuille de germination faisant office de voile, les transformant ainsi en un petit bateau capable de parcourir de grandes distances pour atteindre d’autres territoires insulaires. Cependant, la distance séparant l’attol de Palmyra et les premières côtes américaines rend l’hypothèse d’une colonisation côtière naturelle impossible et explique le caractère endémique stricte de la variété palmyrensis.
Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, sous l’influence de l’homme, des cultures de cocotiers domestiques d’origine asiatique se sont multipliées sur l’attol, jusqu’à atteindre le statut de plantes envahissantes et menacer les autres plantes endémiques de l’île, qui peinent à germer à l’intérieur des forêts denses formées par les palmiers. Des mesures drastiques d’éradication de cette variété de cocotier exotique ont été entreprises, cependant aucune distinction n’était opérée jusqu’à maintenant entre les cocotiers cultivés et la variété palmyrensis endémique, par faute de critères suffisamment précis pour distinguer les deux espèces. Ainsi, dans cette gestion intensive des néophytes envahissants, plus d’un tiers des cocotiers abattus étaient en réalité des Cocos nucifera var. palmyrensis !
De plus, un possible risque d’hybridation des espèces était à envisager, mais cela semble ne pas être confirmé, ni observé à ce jour.
Enfin, les changements climatiques que nous observons actuellement entraînent des conséquences graves sur les environnements insulaires et les écosystèmes qu’ils abritent, tels que l’augmentation croissante des niveaux de l’eau, l’érosion côtière et les possibles tsunamis pouvant détruire des îles entières. Cela constitue une pression supplémentaire sur ces plantes endémiques dont Cocos nucifera var. palmyrensis fait partie et qu’il est crucial de mieux connaître pour mieux protéger.
Un travail de terrain complet
Des échantillons de feuilles, d’écorces et de fleurs de Cocos nucifera var. palmyrensis ont été récoltés, analysés et documentés en vue d’être intégrés comme référence pour l’espèce aux collections des herbiers de Genève, Florence et Miami.
Des mesures et observations précises des différentes caractéristiques morphologiques de la variété palmyrensis ont également été réalisées pour dresser une description complète et précise du palmier et établir un guide de détermination extrêmement précieux pour prévenir toute confusion avec le cocotier commun domestiqué envahissant et également présent sur l’île. La récolte des gigantesques fruits a notamment nécessité une grande expertise pour éviter tout accident.
« Nous étions toujours munis de casque. Une noix de coco d’une telle taille pourrait réellement nous assommer ou pire ! » rajoute Fred Stauffer.
Pour permettre des analyses génétiques rigoureuses qui seront réalisées par les chercheurs rattachés au MBC et apporter un niveau supplémentaire de compréhension de cette variété, des tissus végétaux ont été prélevés. Des graines ont aussi été préparées et conditionnées pour leur transport et importation à Miami avant leur mise en quarantaine. Celles-ci serviront aux cultures de conservation ex situ également menées au MBC.
« Aucune graine n’a pu être ramenée à Genève, pour des questions d’importation particulièrement compliquées en lien aux régulations phytosanitaires vers l’Europe, mais grâce à notre forte collaboration avec nos collègues du MBC, nous sommes ravis de contribuer et de suivre avec intérêt l’évolution de ces cultures ex situ », explique Fred Stauffer.
Enfin, des récoltes d’échantillons d’herbier d’autres espèces ont été effectuées en vue de la réalisation d’un inventaire plus précis de la flore insulaire de Palmyra et de son écologie.
Des hypothèses à confirmer
Les premières observations réalisées lors de cette expédition révèlent la présence de caractères potentiellement considérés comme ancestraux marqués dans la variété palmyrensis de cocotier et pourrait nourrir nos discussions sur l’origine encore floue du cocotier domestiqué que nous connaissons toutes et tous. Cette dernière se situerait selon les dernières recherches soit dans le Sud de l’Inde, soit justement dans les attols du Pacifique.
Les analyses génétiques qui seront réalisées à partir des échantillons récoltés lors de cette mission amèneront une plus grande clarté sur les processus évolutifs de l’espèce et une meilleure compréhension de son origine potentiellement ancestrale.
Notons encore, que la culture des cocotiers (Cocos nucifera L.) se classe dans le top 3 des cultures mondiales et la majorité des régions tropicales en dépend pour leur alimentation. Cependant, les 200-330 cultivars de cocotier connus, présentent une variabilité génétique très faible. Cela rend les plantations commerciales de cocotier particulièrement vulnérables aux maladies ou aux bactéries qui pourraient les attaquer et les décimer, avec des graves conséquences économiques pour les populations qui en dépendent.
A l’inverse, la variété palmyrensis pourrait présenter une variabilité génétique très intéressante, encore à exploiter du point de vue agronomique. Dans ce contexte, les cultures ex situ réalisées au MBC à la suite de cette expédition prennent toute leur importance pour la conservation de l’espèce dans sa globalité et le maintien de populations génétiquement diverses et stables.