Mission au cœur du Sahara

Une zone méconnue en première ligne des changements climatiques

Une intense expédition en automne dernier dans les hautes montagnes sahariennes d’Algérie, menée par notre conservateur, Cyrille Chatelain et notre adjoint scientifique, Florian Mombrial, en collaboration avec les scientifiques de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique (ENSA) d’Alger, vient approfondir les connaissances d’une flore encore peu connue aujourd’hui. 
 

Paysage saharien
CJBG | Paysage saharien

Un timing parfait

Nos deux chercheurs, Cyrille Chatelain et Florian Mombrial, ainsi que 4 botanistes de l’ENSA ont entrepris un périlleux voyage pour atteindre leur terrain d’étude : un ensemble de 3 massifs montagneux (Hoggar, Tefedest et Immidir) culminant à 3000m d’altitude et formant de véritables « îles refuges » pour la végétation.

Oued sablo graveleux de l'Hoggar après les pluies
CJBG | Oued sablo-graveleux de l'Hoggar après les pluies

A l’inverse de la flore alpine que nous connaissons sous nos latitudes, qui tend à diminuer lorsque nous montons en altitude, les hautes montagnes du Sahara jouissent de conditions climatiques un peu plus humides par rapport aux plaines environnantes, favorisant ainsi la subsistance de plantes méditerranéennes et subtropicales. Sans pluies, cette région reste minérale, avec des roches et des cailloux à perte de vue et parfois pour des dizaines d’années. Il fallait donc profiter des pluies exceptionnelles de cet automne pour aller inventorier les plantes.

« Après la pluie, c’est comme si tout explosait, le paysage se verdit et tout pousse à une vitesse incroyable ! C’était une chance de pouvoir justement nous rendre sur place pour observer cela ! »  se réjouit Florian Mombrial.

Une région peu prospectée et difficilement accessible

Les premières explorations botaniques des hautes montagnes du Sahara central datent des années 1920, à la suite desquelles un inventaire de plus de 350 espèces est réalisé, listant notamment 11 espèces nouvelles pour la science. Il faut ensuite attendre les années 1960 pour que de nouvelles missions approfondies soient réalisées et très peu ont été menées depuis, à cause de la grande sécheresse de 1967-1980, puis des guerres civiles de 1990 à 2002. Les connaissances de cette région restent donc disparates et manquent de suivi et de mises à jour régulières.

A bord de véhicules 4x4 tout terrain, ayant une autonomie en fuel pour plus de 1000 km, de l’eau et des vivres pour 12 jours et munis de 8 kg de journaux et de 6 presses d’herbier, l’équipe prospecte tout d’abord pendant 5 jours le massif de l’Immidir, secteur qui a été interdit aux publics durant plus de 10 ans. La dernière expédition de ce massif est réalisée en 2008 par des collègues français. Il se situe à 500km au Nord-Ouest du Hoggar et pour des raisons politiques, il ne peut être parcouru que sous escorte militaire –passage obligé dans cette région usuellement inaccessible pour les non-natifs !

Plateau désertique du massif de l'Immidir
CJBG | Plateau désertique du massif de l'Immidir

« L’escorte militaire, ne pose pas de problèmes, nous avons l’habitude, mais c’est contraignant, car cela peut nous ralentir, limiter notre autonomie et la spontanéité de pouvoir explorer des territoires imprévus, amenant ainsi à des observations supplémentaires et inattendues. » explique Cyrille Chatelain.

Cependant, l’orientation dans le massif et les conditions d’accès particulièrement compliquées durant cette mission forcent nos chercheurs à changer de cap pour poursuivre leur exploration, directement dans le massif du Hoggar, un territoire couvrant une superficie équivalente au Canton de Vaud, et cette fois-ci sans escorte militaire.

Des échantillons uniques et riches d’informations

Nos scientifiques ont récolté 350 échantillons, pressés et séchés directement sur le terrain, représentant environ 150 espèces, un chiffre non négligeable pour des récoltes réalisées dans un terrain désertique où les spécimens sont disséminés sur de grandes distances. Parmi ces échantillons, certains permettront de résoudre des questions taxonomiques encore incertaines liées notamment aux genres Pulicaria, Commicarpus, Tamarix ou encore Tribulus

Cette mission et les données récoltées dévoilent également les conditions uniques des reliefs sahariens dans lesquelles ces espèces évoluent et peut offrir des pistes de compréhension au processus de persistance et d’adaptation mis en place par ces populations végétales face aux changements climatiques globaux.

Mais pour comprendre ces changements, il faut disposer d’observations de référence actuelles, ce que nos missions s’efforcent de constituer. Il faut également connaître l’écologie des espèces, ce qui est particulièrement difficile lorsque les espèces n’ont été observées que très rarement ou plus depuis très longtemps. 

Cette expédition, au même titre que toutes celles réalisées dans cette région, permet donc de localiser et de cartographier de nouveaux peuplements d’espèces subtropicales et d’apporter ainsi de nouvelles informations cruciales pour améliorer nos connaissances. Par exemple, il a été révélé avec étonnement que plusieurs espèces uniques du Hoggar sont en réalité exactement les mêmes que celles du Sahara Atlantique.

Les observations effectuées permettent également de s’interroger relativement à la similitude de cette flore avec la zone désertique du Moyen-Orient. De nombreuses différences relevées jusqu’à présent seraient surtout dues à des erreurs d’identification. 

« A chaque question résolue de nouvelles intrigues apparaissent, et le puzzle prend forme. Les données récoltées aujourd’hui serviront surtout aux scientifiques de demain. » note Cyrille Chatelain.

Une collaboration précieuse

Cette mission constitue la 4ème que nos chercheurs réalisent en collaboration avec les scientifiques de l’ENSA, avec lesquels ils entretiennent de très bons liens. – sans mentionner des collaborations avec d’autres instituts universitaires d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie.

La méthodologie mise en place et appliquée lors des expéditions de terrain par nos scientifiques, notamment pour la récolte, la préparation des échantillons d’herbier, les relevés des observations et des données de terrain, ainsi que les bonnes pratiques pour leur saisie systématique dans la base de données de référence efloraMaghreb est partagée de manière collaborative pour garantir une meilleure compréhension et mise en commun des connaissances générées.

Cette riche expérience accumulée et soutenue par nos collègues directement dans le pays, permet également à nos chercheurs de fluidifier certains processus de travail, par exemple lors des demandes obligatoires de permis de récolte et d’exportation de matériel végétal.

Tous les échantillons récoltés sur le terrain sont automatiquement faits à double pour qu’un exemplaire intègre l’herbier d’Alger et le deuxième celui de notre herbier à Genève.

Enfin les analyses, déterminations et descriptions des échantillons récoltés se font également de manière collaborative.

« Nous sommes parmi les seuls botanistes à prospecter cette région de manière régulière, afin d’accumuler des données suffisamment fournies et renseignées. Nous sommes ravis de pouvoir partager ces expériences avec nos collègues algériens pour continuer ensemble, de manière coordonnée ou en autonomie, l’exploration et l’approfondissement des connaissance de la flore algérienne. » commente Cyrille Chatelain.

L'équipe au complet constituée de 6 guides et de gauche à droite et haut en bas: Florian Mombrial, Melilia Mesbah, Salima Benhouhou, Cyrille Chatelain, Soumya Baa
CJBG | L'équipe au complet constituée de 6 guides et de gauche à droite et haut en bas: Florian Mombrial, Melilia Mesbah, Salima Benhouhou, Cyrille Chatelain et Soumya Baa

efloraMaghreb : Vers une flore électronique complète du Maghreb 

Cette mission s’inscrit dans notre projet plus global de réalisation de la flore numérique du Maghreb dont les objectifs principaux sont de regrouper, gérer et mettre à disposition l’ensemble des informations botaniques (herbier et observations) sur la région du Maghreb, pour réaliser avec nos collègues une analyse biogéographique globale, et mettre en place des politiques de conservation à une échelle supra nationale. 

Ce site web compte désormais plus de 100›000 observations (parts d’herbier - historiques et plus récentes, observations de terrain, données bibliographiques) pour les 6›400 taxons connus de cette zone. Ces données accessibles online, sont présentées sous forme de cartes de distribution, accompagnées d’illustrations, de photos et de descriptions. Un des points forts de ce site est de pouvoir facilement intégrer des données grâce à son outil de gestion simple et efficace.

« Nous avons un immense besoin de récoltes réalisées sur le terrain, pour disposer de matériel récent et indispensable aux études de taxonomie, comme la révision de genres et de taxons, mais aussi à la compréhension de la distribution des espèces et de leur écologie. » soutient Cyrille Chatelain.

Pic Illaman dans le massif du Hoggar
CJBG | Pic Illaman dans le massif du Hoggar